L'ANACONDA
En 1850, quand Edward Bushnell* mit au point le premier patin à lame d’acier, il ne pouvait prévoir quel usage en ferait Lana Kondic plus de cent cinquante plus tard.
Celle que ses détracteurs surnomment « L’Anaconda »*, jalousant la virtuosité avec laquelle elle serpente sur la glace, offrait, tantôt, au public, ses talents, dans le nouveau spectacle de Fontenell’s on Ice. Et ce fut exceptionnel !
C’était un mercredi, jour libéré pour Élisa, jeune fille passionnée, qui voulait admirer sa déesse, avant de chausser elle-même les bottines magiques. Le bus affrété avait également mené jusqu’aux vestiaires de la patinoire olympique, une ribambelle d’aficionados*, parmi lesquels on comptait Ilan. Le téméraire avait l’intention de rivaliser avec Liam, son presque homonyme. Ce dernier portait le titre ronflant de vedette masculine de la tournée. Il avait été découvert peu de temps auparavant… parce qu’il était parvenu à enclencher un axel* et un salchow* dans le même mouvement ! Hasard ou don caché, l’après-midi nous l’enseignerait.
Mais avant même de poser le pied sur la glace, Ilan dut pousser fort sur le talon pour que ses orteils touchent la pointe de la chaussure gauche. Et quel embarras que ces lacets trop longs qu’il faut serrer à y perdre haleine ! « Au secours ! Qu’on vienne m’aider ! Je n’arrive pas à nouer ces satanées lanières !» Léo, plus discret, se trouvait devant la même difficulté. Il tortilla tant et si bien les tresses qu’il remis au goût du jour ces sandales* romaines antiques qui montaient jusqu’aux genoux.
Dans un souci de transmission et de proximité, les fans avaient la permission de côtoyer leurs idoles sur la glace. Pour beaucoup, ils n’avaient jamais glissé sur une patinoire et furent surpris qu’elle infligeât tant de douleurs à leurs postérieurs. Alors, quand la chaine qui maintenait verrouillés de petits déambulateurs fut libérée, ce fut la ruée. « J’en veux un, j’en veux un ! » Une volée de « petits vieux » se saisit du matériel et s’en vint gaillardement mais à pas mesurés reprendre sa place sur la surface glacée. Loïc manipula assez vite l’objet avec dextérité au contraire d’Arthur qui fut longtemps emprunté. Ce fut un ballet improvisé de véhicules extraordinaires que les metteurs en scène n’avaient osé imaginer. Avec quelques prouesses : Laïna ne s’appuyait dessus qu’avec une seule main, Luna tentait de tournoyer en entrainant le support dans son boucle piqué*.
Mieux qu’un déambulateur, d’autres choisirent de se reposer sur un camarade plus doué. Des couples se formèrent pour tenter de réaliser la célèbre spirale de l’amour*, une figure où la partenaire tourne autour de son chéri. Antoine et Stella ne furent pas loin de produire une prestation parfaite. Mais quand les sentiments sont trop forts, l’émotion l’emporte et la chute guette. Patatras ! Le bel éphèbe* fit choir sa dulcinée* au sol.
Quand un partenaire ne suffit pas à maintenir son équilibre, il faut en appeler un second plus sécurisant encore à la rescousse. Ce fut la lourde tâche dévolue à Amel. Dans ses deux pognes vigoureuses, elle put saisir avec détermination tous ceux, tremblant, qui vacillaient sur les patins et leur fit faire au moins un tour de piste. Laury Anne voulut attribuer le même rôle à Christian sans deviner que cette initiative tournerait à la catastrophe. Ses articulations gardent de cette péripétie un souvenir endolori.
Celui qui n’eut jamais besoin de soutien se nommait Raphaël. Il avait appris qu’à l’origine le patinage était un des loisirs favoris des princes et des princesses. Il adopta un port aristocratique, glissa avec noble classe tout l’après-midi et éclaboussa de sa superbe tous les acteurs réunis.
Le final fut fracassant. Le producteur du spectacle s’était offert les services de Léann, la reine des neiges, d’une blondeur immaculée. Ses fans, aussitôt son apparition, l’entourèrent et voulurent immortaliser l’instant avec un selfie qu’ils conserveraient précieusement. Mais dans la précipitation et l’euphorie, l’idole se désolidarisa de ses patins et cogna lourdement la tête au sol. On hésita à faire venir l’hélicoptère.
Au même moment, Liam, muni d’une crosse, démontrait sans plus aucun doute toute sa maîtrise du patinage en s’emparant avec vivacité d’un palet qu’il projetait ensuite avec force. Désormais, plus de hasard, un don inné. Chacun en était certain, le jeune homme avait un bel avenir sur la glace !

Invention
Edward Bushnell
Homme d’affaire américain du XIXème siècle qui, le premier, attacha une lame d’acier à une botte ordinaire: le patin à glace.

Sport
Axel
Figure de patinage (du nom d’Axel Paulsen) qui consiste en un saut partant sur une carre extérieure avant et se terminant sur une carre extérieure arrière après une rotation d’un tour et demi dans l’espace.

Littérature
Dulcinée
Personnage féminin du roman Don Quichotte de Miguel de Cervantès. C’est l’amoureuse du célèbre chevalier errant de la Mancha (Espagne).